« Les oubliés de la Belle étoile », ce vendredi à Kercaradec

« En écoutant ces hommes, aujourd’hui retraités, j’ai pu mesurer à quel point leur passage en centre de redressement durant leur enfance a eu de terribles répercussions sur toute leur existence. Chacun porte les marques de son séjour au centre de la Belle Étoile. » : Clémence Davigo, réalisatrice du documentaire diffusé ce vendredi à Kercaradec dans le cadre du Mois du doc, nous parle de son film.
L’idée du documentaire est née de la rencontre de la réalisatrice avec Dédé, lors d’un précédent tournage dressant le portrait d’un couple séparé par la prison.
« Il s’appelle André Boiron, mais dans le milieu tout le monde l’appelle Dédé. Dédé a connu la prison. Il y a passé 35 années de sa vie pour braquages. Enfant de la misère et vieux gangster à la retraite, au cours de nos discussions j’ai compris que son histoire avait une préhistoire. Qu’il avait vécu une autre forme d’enfermement avant l’expérience de la prison. Dès l’âge de 9 ans, Dédé a été placé dans le centre de redressement de la Belle Étoile et ce qu’il m’en a raconté m’a bouleversée.
Les trois années que Dédé a passées à Mercury, une petite commune située en Savoie, restent gravées dans sa mémoire comme les pires souvenirs de sa vie. Même la prison, « c’était de la rigolade à côté », dit-il. Selon lui, c’est d’ailleurs ce qui a marqué le début de la fin : « À partir de ce moment-là, mon avenir était déjà tracé, c’était foutu ». Lorsqu’il raconte les terribles souvenirs de son passage à la maison de correction et les sévices infligés par l’abbé Garin (le directeur du centre) et les chefs, c’est toujours avec des mots d’enfant : « J’avais des bobos derrière les genoux qui ne guérissaient jamais ». Et de conclure : « Si je compte, en plus des années de prison, celles que j’ai passées en maison de correction, et autres centres d’apprentissage, j’ai pratiquement toujours vécu enfermé. » Ce n’est que des années plus tard, alors qu’il était déjà à la retraite, que Dédé a retrouvé, via les réseaux sociaux, un groupe d’anciens pensionnaires du centre de redressement. Un jour, Dédé m’a proposé de l’accompagner au repas partagé qu’organise chaque été ce groupe d’anciens pensionnaires de la Belle Étoile. Quelques heures de détente pour ceux qui furent des enfants abandonnés, placés, sur les lieux mêmes où ils se sont rencontrés. J’étais à la fois émue et surprise par cette improbable réunion. Qu’est-ce qui pouvait bien pousser Dédé et ses amis d’infortune à se retrouver tant d’années plus tard dans cet endroit dont ils gardent d’effroyables souvenirs ?
Entre pâté en croute, tarte aux mirabelles maison et cubi de rosé, le repas se déroule dans une ambiance bon-enfant. Il fait beau, un groupe de bambins s’amuse au loin. Les paroles et les blagues fusent, mais je perçois quelque chose de lourd derrière cette apparente légèreté, une sorte de pudeur cachée. Ce que j’ai tout de suite perçu, c’est un fort sentiment de fraternité, de joie, de camaraderie. Et mon désir de film est né ce jour-là : j’étais glacée par cette histoire terrible, mais en profonde empathie pour ces hommes et ce besoin qui était le leur de se retrouver, inlassablement.
Un film liant les hommes et leurs destins
J’ai alors souhaité réaliser un film qui puisse accueillir ce que je percevais chez ces hommes : les linéaments d’une amitié, les fils d’une complicité, les liens du malheur mués en de solides attaches pour continuer à vivre.
En écoutant ces hommes, aujourd’hui retraités, j’ai pu mesurer à quel point leur passage en centre de redressement durant leur enfance a eu de terribles répercussions sur toute leur existence. Chacun porte les marques de son séjour au centre de la Belle Étoile : mutisme, blocages, cauchemars, tentatives de suicide, isolement social, grande fragilité, problèmes de santé… Ils sont plusieurs à ne jamais avoir osé en parler, ni à leurs proches ni à d’autres. Et lorsque certains ont tenté de le faire, on ne les a pas cru. Pour la plupart, le traumatisme est tel qu’il aura fallu attendre 60 années pour que la parole se libère. Ce n’est pas juste le temps qui passe, qui a permis à ces personnes de se raconter, c’est aussi la force du collectif, le réconfort d’être ensemble : se sentir rassuré sans avoir besoin d’expliquer, de prouver ou de se justifier. »
D’après le dossier d’accompagnement du documentaire.
[24.11.2025]